Les dix ans de SITALA en France sont l’occasion de revenir sur la vie de Mamadou Besmert Coulibaly, fondateur de SITALA au Burkina Faso et en France. Trop longue pour être résumée en quelques mots, nous terminerons par la deuxième partie, celle qui l’a amené à développer des rencontres interculturelles.
Avant de lire la fin de son entretien réalisé en 2011, commencez par sa première partie ici

papamadou.Image fixe001

Bassoma COULIBALY, le papa de Mamadou

Quelle était la nature d’accident de ton père?
Un accident de la circulation.  Mon père était une homme bon et faisait beaucoup beaucoup de bien autour de lui. Je ne ferai jamais la moitié de ce qu’il a pu faire.  C’est impossible. Une fois hospitalisé, personne ne pensait qu’il allait vivre. Il était branché de partout, il avait la tête gonflée, il ne parlait pas. Il était dans le coma suite à un traumatisme crânien. Le matin où je suis arrivé à son chevet il a ouvert les yeux. C’est bizarre, mais il a commencé à parler ce jour-là. Ma maman ne m’a réellement reconnu que lorsqu’il m’a adressé la parole. J’avais les cheveux tellement longs, les gens ne m’avaient pas reconnu.

Tu avais les cheveux longs ?
Oui à cette époque je m’étais laissé pousser des dreads jusque dans le dos (rire).

Ta famille devait être émue de te revoir…
Oui bien sûr, ma mère pleurait et le fait de me revoir d’autres ont pleuré aussi. Tout le monde n’a pas compris et en voyant ces pleurs le reste de la famille a cru que mon père était mort. Ensuite on leur a expliqué que non, que c’était Mamadou qui était rentré. Très vite je suis allé me faire couper les cheveux. Je me suis rasé la tête pour mon père. Comme je suis rentré avec un peu d’argent, j’ai pu louer une maison. Pourtant, dès mon retour j’ai décidé de partir un mois ou deux. Et puis j’ai demandé à ma famille, à ma manière, la permission de partir, autrement dit de déménager définitivement. Tout en restant à Bobo, je suis parti vivre ailleurs. C’est là que SITALA a pu commencer.

Qu’a dit ton père lorsque tu as demandé à quitter la maison familiale pour aller vivre ailleurs ?
Je lui ai demandé à ma manière, avec la confiance et l’assurance de quelqu’un qui a voyagé un peu. Il a senti que j’étais capable de tracer ma route. Aujourd’hui encore, mon ancienne chambre, celle des voyageurs, est inoccupée. C’est devenu une sorte de squat.

Comment ont commencé les premiers projets ?
Ils ont vu le jour de par mon passé et ce que j’ai vécu. Tout au long de mon enfance et de ma jeunesse j’ai vécu beaucoup de choses dont certains moments que j’ai oubliés, je ne peux pas me rappeler de tout. Puis j’ai commencé à comprendre des choses jusqu’ à partir en voyage. Au cours de ce voyage j’ai rencontré de nombreuses personnes. J’ai vu beaucoup de choses qui m’ont touché.  C’était très long et souvent très difficile. C’était la vie ou la mort. J’ai bouffé pendant des mois et des mois et des mois des sardines et des sardines et des sardines et des sardines. Donc, si j’aime les sardines ce n’est pas pour rien ! (éclats de rires). Il y avait des oreilles partout. Mais ce sont les enfants et les vieux qui ont été les meilleurs récepteurs, ouais ! (ému).  Les projets de SITALA viennent de là : les enfants et les vieux. Les vieux m’ont beaucoup apporté, les contes, les histoires de pays… les vieux m’ont aidé. Paix à leurs âmes. Parmi les chansons de SITALA il y a une, « Laïlaïlala », écrites en hommage à tous les anciens qui sont morts. Le premier vieux qui m’a appris le doum-doum est mort mais il est là (il tape son cœur). Les enfants eux m’ont aidé à être moi-même. C’est grâce à eux que je suis rentré « bien dans ma tête » à Bobo-Dioulasso. Dans toutes mes rencontres les enfants sont toujours restés pareils, uniques. Même si nous n’avions pas la même langue, nous nous comprenions. A mon retour j’ai décidé de me mettre au service des enfants. Trop de choses sont perdues culturellement, artistiquement et traditionnellement. J’ai voulu enseigner ça aux enfants. Les premiers pas de SITALA se sont fait dans ce sillage. Comment faire pour transmettre ? Par la musique. La musique c’est l’histoire. La musique témoigne de ton vécu et de ton expérience.

Madou en 2004 (Medium)Comment ça s’est passé concrètement ?
Je me suis installé dans ma cour, j’ai pris le djembé, j’ai joué, j’ai chanté et les enfants sont venus. Ça a commencé de cette façon. Les premiers projets ont été de leur apprendre à jouer de la musique et à danser.

Comment faisais-tu pour vivre ?
J’ai ouvert une sorte de petit magasin. J’achetais les voitures et j’en vendais les pièces détachées. Je commençais le matin jusqu’à 14-15 heures puis je rentrais chez moi pour faire de la musique avec les enfants. C’était ma vie. Pendant deux ans, j’ai aussi joué avec un groupe de musique dont les musiciens avaient voyagé dans le monde entier. Le groupe s’appelait Faraki. On a fait des rencontres nationales. Je jouais le doum-doum. C’est aussi à ce moment-là que j’ai rencontré Batiéba (futur membre de la troupe SITALA). Il voulait jouer de la guitare mais je ne pouvais que lui apprendre le doum. Avant chaque répétition avec Faraki, il me rejoignait et je lui enseignais ce que je connaissais au doum. Et puis, à un moment donné je suis parti de Faraki. Ça ne me correspondait plus. Je suis resté à Bobo et j’ai fait quelques petites animations dans des cabarets, j’ai joué avec d’autres groupes. C’est là aussi que j’ai accompagné Victor DEME au djembé. Pendant des années je faisais tout un tas de chose le matin et le soir ; mes après-midis étaient consacrés aux enfants.

Comment a émergé l’association Sitala du Houët ?
Progressivement, quelques musiciens sont venus avec moi travailler avec les enfants. Puis on a voulu donner un nom à ce petit groupe d’animateurs. Alors les huit personnes présentes ont écrit le nom qu’ils souhaitaient donner à ce collectif sur un petit bout de papier. Sur mon papier j’avais écrit « SITALA » et nous avons tiré au sort. Nous avons appelé les enfants. Ils ont fait le tirage devant tout le monde. C’est le mot SITALA qui est sorti.

.

.

Que veut-dire SITALA ?
C’est la conjugaison de deux mots voisins. « Siatala » en bobo et « Shitara » en Bambara. Cela signifie qu’il n’y a pas de race, pas de frontière, que tout le monde est pareil, qu’il n’y a pas de différence. C’est devenu notre nom : SITALA.

Combien étiez-vous au départ ?
Lorsque j’ai quitté Faraki, quelques-uns m’ont suivi : Lassina et Drissa. Au début de SITALA nous étions cinq jeunes engagés et nous voulions apprendre la musique. Et puis un jour le frère de Lassina qui vivait en France leur a proposé un projet, un voyage, à tous sauf à moi. Ils m’ont appelé un jour pour me dire qu’ils ne faisaient plus partie de SITALA. Je suis reparti tout seul avec le seul instrument qui me restait :mon kilkenny. J’ai monté un petit projet pour aller au Mali en 2001 ou 2002. Je suis parti avec six enfants du quartier après avoir demandé l’autorisation à leurs parents. Nous sommes partis pour représenter SITALA à l’ouverture du centre culturel de Bamako. Les enfants avaient 11-12 ans, trois filles et trois garçons.

Le voyage s’est bien passé ?
A ce moment-là c’était la Coupe d’Afrique des Nations au Mali. Un soir avec les enfants nous avons rencontré Djilali. Il était responsable de la délégation de supporters de l’Algérie. Il m’a demandé ce que nous faisions là. Les enfants dormaient chez des amis et moi-même je dormais droite-gauche par manque de place. Le lendemain matin il est revenu en nous proposant de dormir à l’hôtel. Nous avons alors accompagné la délégation en jouant de la musique. Par la suite, il m’a proposé de venir en France pour un projet qu’il préparait.

Et tu es parti en France ?
Oui. Pour ce faire il fallait des papiers. Et c’est à ce moment-là que l’idée de constituer une association est venue. Il fallait des papiers reconnus, donc nous avons officialisé l’association Sitala du Houët. Une fois en France j’ai été à Tremblay, à Paris, à Perpignan dans les cités, dans les quartiers difficiles, là où les policiers n’allaient pas. Je faisais de l’animation un peu comme ce que je fais aujourd’hui : musique, danse, cours de percussion, je faisais découvrir le Burkina Faso, sa musique, ses chansons, ses instruments et les méthodes de fabrication, des petits concerts… A mon retour au Burkina Faso j’ai rencontré Benoit, fin 2002.

Comment ça s’est passé ?
A Bobo j’avais déménagé plusieurs fois. Après le quartier de Kombougou, je suis parti à Dioulassoba, au secteur 21 puis à Ouinzinville. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Benoît. Lui et son équipe étaient venus pour travailler avec l’association Cirq’oui. Je revenais du nord du Burkina et j’ai rencontré Jess, Manu et toute l’équipe à l’exception de Ben. C’était pendant les premières semaines de leur séjour. J’ai revu quelques personnes de l’équipe à Ouagadougou. Ils devaient ensuite faire étape à Ouahigouya puis à Bobo-Dioulasso. Ils devaient séjourner à Bobo au cours de leur troisième et dernier mois de voyage. Une fois sur place, ceux que j’avais déjà rencontrés m’ont invité à venir les voir par le biais Internet. En entrant dans leur maison j’ai vu Ben. Il était assis avec une casquette sur la tête. C’est lui qui rédigeait les documents, c’était le seul qui ne sortait pas. C’était la fin de leur projet. Il semblait très fatigué.

Et ?
J’ai compris assez vite leur projet et j’ai participé modestement à leur spectacle. Le thème était le feu. J’ai été chercher mon cousin Batiéba pour les accompagner en musique. Il a joué au doum-doum et moi au djembé. Un peu plus tard d’autres personnes ont dit à Ben que j’étais un faux type et qu’il ne fallait pas me faire confiance. Le doute s’est installé dans sa tête. J’ai cherché à le revoir mais je suis arrivé pendant une réunion d’équipe assez houleuse. Il y avait de la confusion et je ne voulais pas rester là-dessus. Le lendemain toute l’équipe de Cirq’oui est parti sauf Ben. Il est resté tout seul à Bobo-Dioulasso le temps de trouver un Djembé. C’est à ce moment-là que nous avons eu une véritable discussion. Ensuite j’ai pu l’emmener à la maison, à l’association. C’était un midi. Là on a continué à beaucoup échanger. Ben posait beaucoup de questions. On cherchait toujours un djembé pour lui. Après avoir « tourné » pas mal sans succès je lui ai dit d’aller voir dans une des pièces où l’on stockait des instruments car il y avait un petit fût au fond. Il était couvert de poussière et il semblait moche. On l’a sorti, on l’a nettoyé et finalement il était normal, il était beau. On l’a monté pour Ben et voilà. L’histoire a commencé comme ça.P1070069 (Large)

Toutes nos actus