Portrait: Mamadou (1/2)

La résidence 2011 est l’occasion de revenir sur la vie de Mamadou Besmert Coulibaly, fondateur de SITALA au Burkina Faso et en France. Trop longue pour être résumée en quelques mots, nous commencerons par une première partie, celle qui l’a invité au voyage, à la rencontre et l’a rapproché des enfants.

Comment a commencé ton histoire ?

Dans le ventre de ma mère, dès que ma maman a débuté sa grossesse, elle est tombée malade. Elle a souffert pendant huit mois. J’en ai subi les conséquences jusqu’à l’âge de sept-huit ans. Ça se voyait sur ma tête, je n’avais pas de cheveux (rire). Mon entourage a essayé de me soigner avec tous les médicaments et tous les moyens possibles : pharmaceutiques, traditionnels. Je n’arrivais pas à parler, les mots ne sortaient pas de ma bouche. Jusqu’à six ans, je ne parlais pas du tout. Pourtant, j’essayais : « Dam… Di… Dam » (rire). Mon grand-père, qui était aussi un grand voyageur, m’a soigné. Progressivement, j’ai commencé à parler.

Parle-nous de ta famille…

Il y avait à peu près quatre-vingt-dix personnes. J’avais vingt six frères et sœurs. Mon père était un ancien militaire français. Je vivais dans une famille de culture traditionnelle. Tu dois y respecter beaucoup de choses, tu dois prier, te marier, etc. Moi, je ne voulais pas savoir ce qui allait m’arriver. Chaque famille a ses propres valeurs culturelles, ses richesses. Lorsqu’on nait dans une famille, on doit en respecter les règles, et les traditions, on doit faire comme eux. On doit respecter le langage et l’adapter aux personnes. Il faut savoir faire la différence entre une personne âgée, quelqu’un de ton âge ou moins âgé que toi.

Quand as-tu eu envie de faire de la musique ?

A Bobo, on grandit tous avec la musique mais je ne voulais pas devenir musicien. J’ai commencé par aimer le foot à six ans et demi. J’ai d’abord commencé à l’O.J.E.P. (l’équipe de l’école primaire) puis j’ai continué à l’U.C.B.F. (équipe du collège) avant de passer mon B.E.P.C.

Tu voulais faire quoi après ton B.E.P.C. ?

Je voulais être professeur d’histoire. Mais à quinze ans, je ne sais pas ce qui a commencé à me prendre. Je savais que je devais apprendre à parler, lire et écrire pour faire ce que je voulais. Pourtant, je n’arrivais plus à suivre les cours. Ma famille a commencé à voir que ça n’allait pas. Ils n’avaient pas beaucoup d’argent et aucun enfant de mon père n’avait été aussi loin dans les études. Alors j’ai arrêté l’école et j’ai commencé à travailler. J’ai commencé par faire les tâches ménagères avec ma maman. Normalement, on interdit aux garçons de faire ce que font les filles, mais comme les autres membres de la fratrie, principalement des filles, j’ai fait le ménage, la vaisselle, la cuisine etc.

Comment as-tu pris le chemin du voyage et de la musique ?

A partir d’une dizaine d’années, ma chambre était aussi celle des étrangers. Dans ma famille, c’est une forme de respect. On me faisait confiance pour vivre avec les voyageurs. Symboliquement, c’était très fort. D’ailleurs, un jour mon père a accueilli un ancien camarade de guerre, un allemand. Il s’appelait Besmert. Comme j’étais l’enfant malade, mon père a dit : « Si Mamadou vit, il portera aussi son nom ». C’est pour cette raison que je m’appelle Mamadou Besmert Coulibaly.

Jusqu’à l’âge de dix-sept ans, toutes les personnes qui venaient au village pour être soignées ou autre, venaient dans ma chambre. Mon grand-père et mon père n’ont fait que voyager et accueillir des gens. Inconsciemment, le fait d’être entouré et de créer des choses ne vient pas de moi, on me l’a transmis. Jusqu’à quinze-seize ans, je passais mon temps collé à mon père. Mais lorsque je suis devenu adolescent et que j’ai commencé à voir les choses différemment, les choses ne se sont pas très bien passées. Je voulais voyager, j’avais des ambitions et lui voulait que je suive une certaine route. Il avait déjà connu ce type d’aventure et il voulait m’éviter la galère. Après la fin de mes études, j’ai eu deux ou trois années de vie difficile et il a progressivement perdu confiance. Je voulais partir en voyage et il me l’a toujours refusé. Mais un jour, lorsque j’avais dix-huit ans et alors qu’il commençait à être fatigué, je le lui ai demandé une nouvelle fois et il m’a dit « vas-y ».

Et tu es parti…

Oui je suis parti en voyage, vers dix-huit ans. J’ai traversé le Mali, le Ghana, le Bénin, le Togo, le Niger, la Guinée… J’ai voyagé pendant cinq ans. Je suis parti avec rien. Je voulais partir de chez moi pour découvrir des choses. Je ne savais pas où ça me mènerait. Si j’étais resté, j’aurais peut-être dû subir un mariage forcé, avoir des enfants, peut-être trois femmes et une position de privilégié, mais ce n’était pas possible pour moi de ne pas choisir ma route. Pendant cinq ans, ma famille n’a eu aucune nouvelle de moi à l’exception d’une de mes sœurs. Je l’appelais régulièrement mais je lui avais demandé de ne rien dire à personne.

Qu’as-tu fais pendant cinq ans ?

J’ai rencontré des enfants, des jeunes, des adultes, des voyageurs. J’ai dormi dans des endroits bizarres. J’ai parfois passé des jours sans manger. Je n’ai jamais eu d’embrouilles avec des policiers ou qui que ce soit. Je prenais ce qui se présentait à moi. S’il n’y avait pas de travail, je ne travaillais pas. Si je n’avais pas à manger, je ne mangeais pas.

Ça a dû être difficile parfois…

Oui mais ce n’est pas ça que j’ai retenu. J’ai compris que dans tous les pays, les enfants restaient les mêmes. Même si je ne comprenais pas leur langue, on se comprenait. Il y a des adultes qui m’ont guidé et parfois indiqué une mauvaise direction. Les enfants qui me retrouvaient alors me remettaient sur le droit chemin. En Guinée, je suis resté dans un village. J’y connaissais une petite fille, je lui avais raconté toute mon histoire. Elle s’est mise à parler en rêvant. A force, ses parents ont fini par écouter et comprendre ce qu’elle disait en dormant. Ils sont venus me dire ce qu’ils entendaient mais je ne les ai pas crus. Dans ses rêves, la petite fille parlait de mon père. Mon père avait eu un accident grave. Elle ne l’a pas formulé aussi clairement, mais j’ai compris que c’était quelque chose de grave. Son message c’était : « Il faut que tu ailles au chevet de ton père. Il faut que tu rentres chez toi. » Pendant trois jours, la petite fille a pris ses distances avec moi. Je n’avais jamais vu d’autres enfants réagir comme ça. Ça a fait naître le doute dans mon esprit. Un jour elle est venue sur mes genoux pour me dire : « Rentre chez toi, rentre chez toi ». Elle m’a fait peur. Alors j’ai fait mon sac et je suis retourné à Bobo.

Et?

Quand je suis arrivé, ma mère ne croyait pas que c’était moi. Comme elle était seule dans sa chambre, elle a commencé à crier. Elle était seule car mon père avait eu un accident. Ca faisait plusieurs jours qu’il était dans le coma. Lorsque la petite fille a commencé à faire ses rêves, mon père venait juste d’avoir son accident.

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